J'avais déjà signalé ici mon étonnement à propos de la volonté de l'ANPAA, l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et en Addictologie, qui tente de faire interdire en justice la mention "A consommer avec modération". Fort heureusement, la justice avait refusé de suivre cette curieuse demande dans un procès intenté par l'ANPAA aux vins du Val de Loire.
Et je me demandais perfidement si l'interdiction de prôner la modération pourrait un jour nous contraindre à faire l'apologie de l'ivresse...
Mais bien évidemment, je n'y étais pas du tout : ce n'est évidemment pas l'ivresse qui sera appelée à remplacer la modération, c'est l'abstinence.

Le Directeur Général de la Santé prône l'abstinence !

Le Professeur Didier Houssin, directeur général de la Santé, le confirme très officiellement dans un numéro spécial du Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire consacré à l'état des lieux de l'Alcool et de la Santé en France :
Réduire la consommation globale d’alcool reste le seul moyen de répondre avec efficacité aux enjeux de santé publique posés par la consommation d’alcool. C’est aussi l’objectif de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. L’atteindre passe par l’augmentation du nombre d’abstinents et la réduction de la consommation des petits et moyens buveurs, les plus nombreux.
Voilà au moins des propos d'une extrême clarté : pour atteindre l'objectif de la loi du 9 août 2004 (voir en annexe le tableau "Déterminants de Santé-Alcool" page 69 de ce document pdf), qui est de diminuer la consommation annuelle moyenne d'alcool par habitant de 20 %, il faudra qu'il y ait en France de plus en plus d'abstinents et que les petits et moyens buveurs réduisent leur consommation.
Il est vrai qu'il sera plus facile d'obtenir des résultats, de "faire du chiffre", en terrorisant les buveurs du dimanche plutôt qu'en tentant de soigner les malades...

Les pouvoirs publics n'auront d'ailleurs pas de mal à faire admettre à l'opinion publique la nécessité de telles mesures en agitant des chiffres particulièrement inquiétants : "Avec 45 000 morts attribuables à l’alcool par an, il s’agit de la deuxième cause de mortalité évitable de notre pays (après le tabac)" rappelle ainsi le Professeur Didier Houssin. Mais ce terrorisme des statistiques oublie de distinguer consommation modérée et consommation excessive et fait fi des bienfaits démontrés d'une consommation modérée de vin, rappelés par exemple dans "Les quatre vérités du vin".

Terroriser les consommateurs modérés plutôt que de soigner les alcooliques


Ce n'est pas la première fois qu'en matière d'alcool les pouvoirs publics se trompent de cible : parce que la sénatrice Anne-Marie Payet a -très justement- sensibilisé les Parlementaires sur les ravages du Syndrome d'Alcoolisation Fœtale sur l'île de la Réunion où elle est élue, un amendement, adopté le 20 octobre 2004, ordonne qu'un logo grotesque soit apposé sur toutes les bouteilles de vin.
Plutôt que d'accompagner et de soigner les futures mères qui vivent leur grossesse sous l'emprise et la dépendance de l'alcool, on préfère donc stigmatiser, culpabiliser ou terroriser les futures mères qui tremperont leurs lèvres dans une demi-flûte de pour fêter Noël ou un anniversaire...
Publié le 3 octobre, l'arrêté qui rend obligatoire sur toutes les étiquettes de boisons alcoolisées la présence du logo ou d'un message sanitaire précise clairement que "la consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l'enfant".

Pourtant, en Angleterre, où la prévention contre le Syndrome d'Alcoolisation Fœtale est menée depuis plusieurs années, les campagnes officielles rappellent que ce syndrome peut apparaître si une femme boit plus de deux verres par jour. Mais peut-être la physiologie féminine est-elle différente des deux côtés de la Manche...

Responsabilisation ou interdit ?

Les déclarations du Pr Didier Houssin montrent à l'évidence que la question des femmes enceintes n'était qu'un premier pas : il s'agit désormais de terroriser tous les buveurs modérés de vin, allant ainsi à l'encontre des recommandations de l'OMS qui considèrent qu'il n'y a pas de raison médicale de recommander l'abstinence à un homme qui boit moins de 21 verres par semaine ou à une femme qui boit moins de 14 verres par semaine.

Comme l'indiquait fort justement Michel Delanoue, vigneron à , après le procès de l'ANPAA contre les vins de Loire, la question posée dépasse le seul problème de l'alcool et constitue un vrai choix de société : faut-il prôner "la modération et à la responsabilisation des citoyens" ou faut-il préférer "une attitude dictatoriale et intégriste visant à imposer à tous l'interdiction pure et simple" ?

Vers une taxation plus forte ?

Il faudra en tous cas, à quelques mois des présidentielles, que les uns et les autres clarifient leurs positions par rapport à la viticulture.
Souhaite-t-on réellement, comme l'a indiqué récemment le ministre de l'Agriculture Dominique Bussereau, que " le secteur viticole, en France, retrouve le goût d'aller de l'avant" ?
Ou suivra-t-on le Directeur Général de la Santé lorsqu'il indique que "les stratégies les plus efficaces sont celles qui réduisent l'accessibilité à l'alcool et qui impulsent une politique tarifaire et de taxation forte" ?

Au contraire de la France, l'Espagne a promulgué le 10 juillet 2003 la "ley de la viña y del vino" dont le premier article rappelle que "El Vino et la viña son inseparables de nuestra cultura”. Et parce que la vigne et le vin sont reconnus de l'autre côté des Pyrénées comme un élément inséparable de la culture du pays, le vin est défini comme un "aliment", échappant de ce fait à certaines taxes et restrictions imposées aux boissons alcoolisées et permettant même que l'Etat espagnol finance des campagnes d'information, de diffusion et de promotion du vignoble et du vin.

Dans quelques années, l'alcoolisme et la mortalité liée à l'alcool en Espagne seront-ils supérieurs aux proportions que nous observerons en France ? Evidemment non. Car comme le rappelait Jacques Berthomeau dans une brillante lettre ouverte au directeur de l'ANPAA, "l'alcoolisme n'a pas reflué, preuve de l'inefficacité [des] armes" utilisées par cette association...




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