Ancien flic, journaliste, écrivain et homme de radio, Eric Yung s’est installé avec sa compagne dans la vallée du Cher. De quoi nourrir sa passion du vin et le transformer en observateur attentif des mutations de la viticulture.

Eric Yung était-il né pour être vigneron ? On pourrait le croire lorsqu’il parle de son plaisir de découvrir les premières fleurs de vigne sur les coteaux de la vallée du Cher. Lorsqu’il raconte comment il écoute chanter le vin dans les cuves. Lorsqu’il évoque les couleurs du marc, le bouillonnement du vin en fermentation, les odeurs de cave...

Même le cliquetis de la chaîne de mise en bouteille, pendant qu’il écrit à sa table de travail, est pour lui un vrai plaisir. “Tout est magique !”. Celui qui fut tour à tour inspecteur de police à la 2e brigade territoriale puis à l’anti-gang de 1969 à 1978 ; journaliste au Quotidien de Paris, aux Nouvelles littéraires, au Matin de Paris, à VSD... ; celui qui est aujourd’hui rédacteur en chef et producteur à Radio France, semble goûter avec beaucoup de plaisir un curieux statut de “quasi-vigneron”.

Un passager clandestin au milieu d'un domaine viticole

Depuis 2003, il a suivi l’installation de sa compagne, Florence Veilex, à la Chapinière de Châteauvieux, un domaine de 13 hectares en AOC . Et Eric Yung semble incroyablement heureux d’être une sorte de passager clandestin au milieu d’un domaine viticole, sans vouloir se prendre pour un vigneron : “Je suis actionnaire de la SARL mais je ne participe à la vie du domaine que de deux façons : prendre des photos pendant les vendanges et goûter les cuves régulièrement”. Il prête aussi volontiers son charisme et sa voix grave d’homme de radio à chaque fois que le syndicat de l’AOC Touraine fait appel à lui.
A le voir un tire-bouchon à la main dans la cave du domaine, il est en tous cas certain que la passion pour la Touraine et ses vins ont fait oublier à l’écrivain une enfance dans la Somme, sous des ciels bas et gris et un air qui, l’hiver, “empestait la betterave”. Oubliés aussi la période trouble où l’on ne distinguait pas toujours les flics des voyous, et la prison dans laquelle il fut jeté pour avoir eu trop de scrupules dans l’affaire de l’assassinat du ministre Jean de Broglie.
Tout cela ayant été exorcisé dans son roman La Tentation de l'ombre, Eric Yung entame sereinement une troisième vie, une vie d’observateur attentif du monde du vin. “Je regarde tout cela avec beaucoup de curiosité”. La Touraine, c’était comme une évidence. “J’ai découvert la région il y a plus de 30 ans et je suis vite tombé sous le charme des vins à base de ou de , séduit par ces goûts très nouveaux”. Il a d’abord acheté une résidence secondaire, s’est lié d’amitié avec les vignerons du coin et a acheté ses premières vignes avec Florence Veilex il y a 15 ans. “Juste pour le fun. A l’époque, c’était Thierry Michaud à Noyers-sur-Cher qui s’en occupait”.
Maintenant qu’il est plongé dans la vie d’un domaine, il voit tout cela différemment. “Comme journaliste, j’entendais parler de difficultés des entreprises avec les administrations. Ce que je découvre est cent fois plus grave que ce que j’avais pu imaginer : les incohérences, les dysfonctionnements, les rapports difficiles entre l’administration et les vignerons, la complexité de la législation, les organisations professionnelles dont les strates se superposent... On n’encourage pas les gens à entreprendre. Pour conduire un petit domaine, il faudrait être à la pointe en matière de législation, de fiscalité, de marketing, de comptabilité... et le métier arrive seulement après”.

"Une vraie révolution est en train de se jouer"

Du coup, l’ancien super flic avoue son admiration pour les vignerons. “Une vraie révolution des esprits est en train de se jouer dans la viticulture. Je ne sais pas si d’autres métiers sauraient, en si peu de temps, se remettre en cause à ce point”. Et il s’énerve en entendant se multiplier les attaques contre le vin. “Le mouvement anti-vin est une nouvelle forme de ligue de vertu morale. C’est une démarche fasciste, et je pèse mes mots en le disant. Je ne comprends pas que la filière recherche un consensus avec ces gens là. Il faut revendiquer le droit absolu au plaisir”.
Un droit au plaisir qui le ramène à ses vieux souvenirs. “Chez mes parents, il y a toujours eu du vin et je me souviens de repas familiaux arrosés au Châteauneuf du Pape. Dans mon groupe de la BRI, il y avait un type de qui nous rapportait du vin le lundi. Et c’est au contact des grands bandits que j’ai goûté mes premiers grands vins. Je me souviens d’un jour où Yves Mourousi m’avait demandé de lui présenter Gaëtan Zampa. Recherché par toutes les polices, il nous a reçus dans sa villa sur les hauteurs de la ville et le maître d’hôtel a débouché quelques 1947. A cette époque, le milieu était une aristocratie qui aimait les grands crus”.


Du vin entre les lignes


Après La Tentation de l'ombre, récit autobiographique qui devrait faire l’objet d’une adaptation au cinéma, et plusieurs autres ouvrages, Eric Yung publiera au premier semestre 2007 “Le fils unique”, un roman où, pour la première fois, le vin aura une petite place. “Pas question pour moi, bien évidemment, de faire du placement de produit ! Mais le vin en littérature est un élément souvent intéressant. Dans la description d’une scène, il est important d’apporter des couleurs mais aussi des odeurs. Il faut titiller tous les sens des lecteurs”. Le héros de son prochain roman a donc un faible pour les vins de Touraine. “Parler du vin que boit un personnage, permet d’apporter des éléments de compréhension de son caractère et de peindre des ambiances”. Et à l’heure où Pivot, Oberlé, Queffélec... mettent par écrit leur amour du vin, Eric Yung s’inscrit volontiers dans ce mouvement de réaffirmation de la dimension culturelle du vin. “Je rentre en résistance pour défendre le plaisir de vivre”.


* Cet article est paru initiallement dans le numéro 125 de décembre 2006 de Réussir Vigne

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